La vente de bouteille, abandonnée par les vignerons ?

Depuis 10 ans, la part des champagnes expédiés par les vignerons à baissé d’un quart, au profit de celle des coopératives et des maisons de négoce. Il s’agit là d’une tendance lourde qui fait peser un risque de diminution de la diversité des produit, mais surtout de prise de contrôle de la production par le négoce.

La diminution de l’activité de vente de bouteilles par les vignerons s’explique par deux facteurs principaux. D’une part, le prix élevé du kilo de raisin proposé par le négoce, estompant la différence de rentabilité entre la vente d’une bouteille et la vente au kilo (la différence de marge représente environ 2,5€ par kilo de raisin, en faveur de la vente de bouteille). D’autre part, l’évolution d’un marché français devenu plus concurrentiel.

Le choix de la vente au kilo apportant un confort évident au prix d’une baisse de marge relativement faible – pour le moment, nombreux sont les vignerons qui cèdent à cette tentation. Cependant, la domination du négoce sur la production, telle qu’elle peut s’observer par exemple dans le modèle économique de la grande distribution, est discutable dans son intérêt pour la société. Elle se traduit souvent par une rémunération très faible des producteurs (rappelons par exemple qu’en 2016 – qui ne fut pas une bonne année, le revenu annuel moyen d’un agriculteur est de 15.000, que 20% ne peuvent pas se verser de salaire, et que 30% de ceux qui se versent un salaire vivent avec moins de 350 euros par mois), producteurs qui passent du statut de chef d’entreprise au statut d’homme-lige. Elle se traduit également par une perte de diversité des produits, ainsi que par l’adoption de méthodes de production pas toujours respectueuses de la santé, de l’environnement, ou des ressources naturelles, ces questions étant considérées au second plan par rapport aux intérêts capitalistiques de ces grandes entités.

Ci-dessous un article écrit par l’AFP et publié par Romandie, qui fait un point assez juste de cette situation préoccupante.

 

Champagne: derrière les ventes record, les vignerons contraints de repenser leur « modèle économique »

Concurrencés sur le marché français, distancés à l’export, tentés par la vente au négoce: en Champagne, les vignerons font face à de nouveaux défis structurels, qui redessinent le visage d’une filière au chiffre d’affaires record de 4,9 milliards d’euros en 2017.

Sur les quelque 307 millions de bouteilles de champagne vendues l’année dernière (+0,4% par rapport à 2016), plus de 72% proviennent des caves des maisons de champagne, le reste étant expédié par les coopératives viticoles et les vignerons, selon le Comité Champagne.

« Entre 2007 et 2016, les vignerons ont perdu environ 25% de leur volume expédié », relève Aurélie Ringeval-Deluze, professeure d’économie et de gestion spécialisée dans l’économie du vin à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Sur le marché français, mises à mal par d’autres vins effervescents français et étrangers comme le prosecco ou le cava, les ventes de champagne affichent un recul de 2,5% pour l’ensemble de la filière et de 4,9% pour les seuls vignerons, soit un différentiel de 2,5 millions de bouteilles entre 2016 et 2017 pour ces derniers, selon l’organe institutionnel champenois.

« Ce qui coince, c’est que le marché français est difficile, concurrentiel…Or 80% du champagne de vignerons est vendu en France », souligne Maxime Toubart, le président du Syndicat général des vignerons de la Champagne.

Face à cette contrainte, couplée au morcellement du vignoble champenois qui fait diminuer la taille des exploitations, de nombreux viticulteurs préfèrent vendre tout ou partie de leur récolte aux négociants, une solution rentable avec un prix du kilo de raisin qui oscille « entre 5 et 8 euros », indique-t-il.

« Le vignoble est de plus en plus dépendant des maisons pour écouler la production, explique M. Toubart, car « celles-ci ont la possibilité d’aller vendre des bouteilles très loin et très chères, donc de payer des raisins très chers ».

Pour continuer à commercialiser leurs propres champagnes, certains vignerons décident de se lancer à l’export, stimulés par des ventes en croissance vers les pays tiers (+8,4%).

« Environ 50% de ma production, soit 15.000 bouteilles, part aux Etats-Unis et en Italie, mais aussi en Suède et au Danemark », détaille Benoît Velut, jeune vigneron installé à Montgueux (Aube), qui vinifie 3 hectares sur 7,7 hectares au total et vend le reste au négoce.

Pour s’adapter à cette nouvelle donne, il a rejoint une association de dix vignerons où chacun apporte son expertise et ses compétences, « un énorme levier parce que je n’ai aucune formation de commercial », reconnaît-il, conscient que la filière est passée « d’une clientèle très locale du temps de nos parents à une clientèle beaucoup plus disséminée en France tandis que l’étranger s’est développé ».

De son côté, le Syndicat général des vignerons a créé « des services d’accompagnement », une marque commune appelée « Les Champagnes de vignerons », propose à ses adhérents de participer à des salons, de suivre des formations en anglais… « Une kyrielle d’actions » pour aider à commercialiser ces champagnes de qualité mais qui « n’enraye pas la baisse des volumes », observe le président du SGV.

« Il existe une vraie tendance de +premiumisation+ et de valorisation des vignerons qui s’en donnent la peine, et à la disparition progressive de ceux qui sont en bout de course parce que leur modèle économique n’a pas évolué depuis 20 ans et ne colle plus aux besoins du marché », analyse Aurélie Ringeval-Deluze.

En 2016, le Comité Champagne a recensé 4.364 vignerons à la fois récoltants et expéditeurs, un nombre qui ne cesse de décroître depuis une dizaine d’années.

Grâce à « l’aura de l’appellation Champagne, les vignerons ont été longtemps protégés des évolutions économiques du monde actuel, mais ça a fini par les rattraper », constate-t-elle, ajoutant que certains exploitants n’ont aucune « trajectoire stratégique réfléchie » et font « pratiquement du bricolage » en vivant « beaucoup sur leurs acquis ».

A ses yeux, « la perte des expéditions de champagne actuelle est assez logique, presque saine », car elle n’empêchera pas les vignerons aux « vrais arguments commerciaux » et aux « produits typiques », ainsi qu’une nouvelle génération de passionnés, d’avoir « de l’avenir dans la commercialisation du vin ». Et d’exister à côté des grandes marques.

(©AFP / 28 février 2018 08h52 – source : romandie.com)

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