L’année viticole 2024
Il n’y a pas que pour les institutions que l’année 2024 – celle de la dissolution de l’assemblée – aura été difficile : Annus horribilis, se serait exclamée feue Sa Majesté Britannique.
Bien sûr, le gel des 18 et 23 avril, touchant 3000 hectares, surtout dans la côte des Bar. Et la grêle le 12 mai à Trélou, le 27 juin à Essoyes, et le 12 juillet à Montgueux.
Mais surtout, les pluies.
Dès le printemps, elles furent incessantes (quasiment 600 mm entre avril et août, alors que la moyenne annuelle est de l’ordre de 700), et causèrent par endroit des chloroses par asphyxie racinaire.
Commencé avec un léger retard, le débourrement a été observé vers le 9 avril, avec une semaine d’avance. En revanche, une semaine de retard pour la floraison, observée vers le 17 juin, étalée inhabituellement sur trois semaines. Coulure, millerandage, léger échaudage en août, mauvaise mise en réserve, la récolte s’annonçait mal.
L’humidité constante a fait proliférer le mildiou, autant si ce n’est plus qu’en 2021. Cette année, il aura fallu sortir les pulvérisateurs entre 15 et 20 fois en conventionnel, entre 20 et 30 en bio. Oïdium et botrytis sont restés discrets, pour leur part, heureusement !
Le mildiou, encore un nuisible qui nous vient des Etats-Unis, est la terreur du vigneron. Favorisé par l’humidité et la chaleur, une fois qu’il est installé, impossible de le déloger. La contamination est indétectable : une voisin, qui avait commencé son circuit de traitement à la bonne date, a vu ses premières vignes indemne de mildiou, tandis que les dernières du circuit ont été ravagées : entre le début et la fin, une seule demi-journée. Les dégâts peuvent être considérables : certaines parcelles ont été détruites à 100%. Pour nous, Cuche-Moiselle Sud a été détruit à 52% Et malgré tout, il faut continuer de traiter, afin qu’il n’attaque pas les feuilles, qui nourrissent les bois fructifères de la vendange prochaine…
Le mildiou n’a pas été le seul à proliférer : toutes les herbes du monde se sont mis à pousser dans des proportions déraisonnables, il a fallu charruter et tondre. Très problématiques, les liserons font leur retour dans le bas des Blanchettes, traduisant possiblement un lessivage de l’azote. Et cette année, le désherbage sur les chardons n’a absolument pas fonctionné : tout début juin, les vignes n’étaient qu’un champ de chardons, enserrés dans les fils de palissage. Il a fallu recruter d’urgence une équipe de 7 personnes pour les écraser au pied afin de les détruire.
Tout de même, la maturation des raisins s’est effectuée dans de bonnes conditions. Le soleil de début septembre a bien fait mûrir les baies, tandis que les pluies des 11 et 14 septembre ont amené les grappes vers un poids moyen d’une centaine de grammes, ce qui est presque correct. Cependant, un décalage inhabituel entre les noirs et les blancs a été observé : 4 à 6 jours d’avance pour les noirs.
Au 9 septembre, le degré alcoolique potentiel était de 7.9 côté sud, et 8.3 côté nord, sur des Chardonnay de même âge, mais attaqués par le mildiou au sud. La différence de charge importante (50% environ) cause cet écart de 0.4 dans le degré : les feuilles, touchées de manière modérées par le mildiou, continuent leur travail de photosynthèse et d’alimentation en sucre de grappes moins nombreuses. Pour les noirs, les parcelles voisines sont autour de 9.5, cet écart est inhabituel. Nouvelle mesure au 13 septembre, 8.55 (+0.65) côté sud, et 9.05 (+0,75) côté nord. Les températures assez basses (18° dans la journée) et les nuits fraîches (5° le matin) expliquent cette maturation un peu lente, mais assurent un excellent état sanitaire.
Notre domaine a eu beaucoup de chance avec le mildiou, Fabien ayant traité juste à temps, cela a préservé environ les deux tiers des surfaces. Les surfaces confiées à Thierry, en revanche, ont été fortement atteintes, et n’atteindront que la moitié de la productivité habituelle.
Le rendement AOC 2024 a été fixé à 10.000 kilos hectare, cependant de nombreuses parcelles ne l’ont pas atteinte : celles qui ont été fortement touchées par le mildiou n’ont même pas été vendangées, bon nombre de parcelles n’ont pas dépassé les 4 ou 5000 kilos hectares, guère plus. Nos cousins de l’Aube, eux, ont récolté 1000 kilos/hectare. Heureusement qu’il y a la réserve Champenoise, il faut seulement ne pas geler l’an prochain.
Cette récolte est marquée par une grande hétérogénéité, à tel point que le CIVC a relevé en cours de vendanges le taux d’enrichissement maximal. Beaucoup d’hétérogénéité aussi au pressoir, où certaines maisons se contentaient du 9 légal, tandis que d’autres se donnaient un objectif à 9.5, et que d’autres enfin recherchaient absolument du 10/10.5. Quoi qu’il en soit, ce millésime compliqué est marqué par la qualité (le mildiou n’a aucune incidence sur la qualité des moûts). Peut-être pourrons nous faire une cuvée millésimée, « Rescapés 2024 » ? Nous saurons cela en dégustant les vins clairs, début 2025.
Les vendanges 2024
Le décalage de maturité entre les blancs et les noirs s’est traduit dans les dates d’ouverture. Aussi, les noirs étaient ouverts le 14 à Beaunay et les blancs le 16, tandis que pour Barbonne c’était le 12 et le 16. Devant la difficulté d’arrêter une équipe trois jours, nous avons joué le 15 noir, ce qui nous permettrait de débuter les blancs le 16.
Le 14 au soir, les précurseurs sont là : Olivier et Louis Marie, les anciens, Aymeric et Jean-Nicolas, les nouveaux. Et dimanche 15 septembre 8H, top départ avec toute la grande équipe, 23 coupeurs heureux de se retrouver une fois de plus. Cependant, nous découvrons avec stupéfaction que quatre rangs de noirs ont été vendangés subrepticement, vol pur et simple : tout n’est pas si rose, à la campagne… Les noirs de Beaunay sont superbes, au sommet de la maturité, et seront pressés à Fèrebrianges, à trois kilomètres, sauf pour le dernier camion qu’il faudra monter à Sézanne, Fèrebrianges ayant fermé pour la pause de midi ! En une seule journée, nous avons pu faire tous les noirs, ceux de Beaunay comme ceux de Barbonne, y compris les pinots du bas de Cuche-Moiselle. A la fin des vendanges, le calcul de rendement sur les meuniers de Beaunay donne une quantité de 7200 kilos/hectares, malgré ces quatre rangs volés, ce qui est, me semble-t-il, le record absolu des dix dernières années de cette vieille vigne. Bravo spécialement à Jean et Maryse, qui réalisent taille, liage, palissage et cisaillage, tout à la main : le beau travail se retrouve à la vendange.
Le lendemain, renfort de Jean-Charles et Yves pour attaquer les blancs dans la partie mildiousée de Cuche Moiselle, tandis que repartaient Olivier et Aymeric. A 10 heures, appel du pressoir de Saudoy, « vos raisins sont à 8.5 ! » (le degré cuverie retenu pour cette année est de 9. Dans l’absolu, le marc pouvait être refusé). Impossible, ils avaient été mesurés à 8.55 (sans mildiou) et 9.16 (avec mildiou) le samedi précédent. Aussitôt, reprise d’un échantillon à Cuche-Moiselle et aux Blanchettes, et mesure au densimètre, au pressoir de Saudoy : 9.0 pour Cuche-Moiselle (sans mildiou) et 9.5 pour les Blanchettes, le diagnostic est cohérent. Mesure qui sera confirmée par le pressoir de Fontaine, qui nous fait un marc individuel le soir même, et nous délivre un degré cuverie à 9.6. Comme quoi les mesures au colibri peuvent être assez imprécises.
Comme toujours, c’est un bonheur de travailler avec le pressoir de Fontaine, l’endroit où sont pressé la majorité de nos raisins. L’ambiance y est toujours exceptionnelle, l’accueil incroyable, à quelque heure du jour ou de la nuit, et le travail exécuté à la perfection. L’ancien pressoir de Saudoy n’est pas en reste pour l’accueil, pour peu que l’on se présente à une « heure intelligente ». Les raisins qui y sont amenés sont pressés à Tours sur Marne, le mythique pressoir Ménéclier n’étant plus qu’un centre logistique. Remerciements aussi à Gilles et Odette, restaurateurs à la Forge, qui nous ont accueilli pour des dîners pour le moins animés, avec des camionneurs rajeunis de trente ans ! Pour eux deux, ce sont les dernière vendanges, après 30 ans d’une excellente et roborative cuisine.
Nous avons fini par les Blanchettes, jeudi matin, sous un délicieux soleil d’automne, récoltant moins de raisin que l’an dernier, bien sûr, mais très sain pour ce qu’il en restait.
Pour les autres équipes cela a pu être plus difficile : la coopérative de Bethon, par exemple, a arrêté de vendanger, pour atteindre des maturités plus élevées dans les blancs. Et certaines équipes, qui étaient parties un peu tard, ont terminé les vendanges les 24/25, sous une pluie très défavorables aux raisins (des départs de pourriture ont pu être observés). Une video de fin de vendanges dans l’Aisne est apocalyptique : https://x.com/i/status/1839339129274036228
Les fins de vendanges sont comme les fins de grandes vacances : à une activité animée et bruyante succède tout d’un coup un grand désert silencieux, et déprimant quand il se met à pleuvoir. Dire qu’il faut maintenant attendre un an pour que cela recommence !